Être technophile ou technophobe ?
Un des moteurs du progrès est l'utilisation
de la technologie. Il y a bien évidemment
différentes perspectives dans le rapport dialectique entre technologies (les
philosophes parleront de la technique) et progrès. Dans la
recherche de solutions dans le problème soulevé par le progrès la question de la
technologie me semble centrale. Pour traiter du rapport entre technologie et
progrès, j'exposerai dans cet exercice deux visions technophiles et deux
visions technophobes. J'exposerai en troisième lieu un point de vue mitoyen
pour terminer sur quelques questions fondamentales par rapport aux technologies.
1.1 La technophilie
La technophilie est présente de manière
implicite, c'est un peu la norme sociétale actuelle, et de manière explicite.
La première attitude que je nommerai technophilie néolibérale avance que le
marché va développer les
technologies qui vont permettre de nettoyer l'environnement ou encore de
trouver une source d'énergie permettant de perpétuer le développement économique lorsque le pétrole aura
atteint son pic de production ou encore lorsqu'il sera épuisé. Attitude naïve qui néglige
bêtement le fait que le pétrole est la source la plus concentrée d'énergie à notre
disposition. La deuxième attitude, l'hypertechnophilie, est représentée par la
philosophie transhumaniste. Un des sous-courants transhumanistes croit, car ça relève bel et bien de la croyance,
qu'une sorte de point Omega sera atteint bientôt : c'est la singularité technologique. À ce
moment, une sorte de dieu numérique prendra en charge le fonctionnement de la
société et grâce à son
hyperintelligence artificielle sera en mesure de régler les problèmes de
l'humanité. Tout en pensant que cette croyance est particulièrement farfelue,
je crois que cette perspective proprement totalitaire est antiliberté et antihumaine.
1.2 La technophobie
La technophobie d'un autre côté implique une attitude de rejet par
rapport aux technologies. Arne Naess, philosophe
norvégien, a proposé l'écologie
profonde inspirée sur la philosophie romantique, et très critique de la
technique, développée par le philosophe allemand Martin Heidegger, pour
répondre à ce qu'il nomme l'écologie
superficielle. En gros, l'écologie propose un rejet complet de la technologie,
un retour à l'état de nature. Pour Naess, c'est la
seule manière de pouvoir restaurer les écosystèmes.
Une toute autre attitude est la fixation dans le temps qui est représenté par les Amish. Qu'ont fait les Amish
au juste? Ils, probablement les hommes d'ailleurs, ont tout simplement décidés
de ne pas progresser et de fixer leur mode de vie du 17e siècle. Ils ont fixé dans le temps leur développement, leur
progression sociale. Je crois que ces deux attitudes peuvent être attirantes, mais elles
sont, à mon avis, anti-sociales.
1.3 Entre la technophilie et la technophobie?
Il ne faut pas perdre de vue que la
technologie est à quelque part une prolongation de
possibilités de l'être humain. L'ordinateur comme extension de l'esprit et la
pelle mécanique comme extension du bras. Or, cette technologie est énergivore, donc entropique (voir le
billet sur ce sujet). Autrement dit, l'augmentation de la puissance d'action de l'être humain
dans le cadre de la civilisation thermo-industrielle pèse lourdement sur les écosystèmes. Ceci dit, faut-il adopter
un point de vue technophobe? À mon avis, ce n'est pas souhaitable,
voire même que c'est contre-productif. D'ailleurs, Murray Bookchin écrivait dans Une société à refaire que la technologie pouvait être utilisée de façon à renverser
l'entropie, soit de manière néguentropique. Ainsi, l'énergie aurait le
potentiel d'être créatrice plutôt que destructrice. Proposition difficilement
imaginable, mais ô combien séduisante, surtout venant
d'un écologiste libertaire - les écologistes ayant généralement
tendance à être technophobes. Le défi est immense
car il faut prendre un tournant vers la production et la consommation via le
développement d'énergies vertes, vraiment vertes. Défi immense certes, mais je
crois qu'il faut évaluer la
technologie d'un point de vue rationnel plutôt qu'un point de vue émotif ou encore fantasmagorique.
1.4 Quelques questions fondamentales en guise
de conclusion...
Jacques Ellul, dans Le bluff technologique,
posait en 1988 plusieurs questions pertinentes. Elles restent toujours
d'actualité puisqu'elles sont
toujours sans réponse :
- [...]
allons-nous nous adapter physiquement, socialement, intellectuellement,
à l'informatique?
-
Allons-nous nous adapter moralement au génie génétique?
-
Allons-nous continuer à pouvoir connaître comme l'humanité l'a
fait depuis cinq cent milles ans?
- [Les
environnementalistes] ont raison de souligner l'importance majeure de l'enjeu
de la Nature, mais comment considérer le défi technologique?
- L'enjeu,
c'est l'information et la désinformation par l'excès d'information, c'est
l'incapacité des structures politiques ou administratives, des hommes
politiques et des doctrines politiques à rendre compte de la
réalité actuelle de la mutation technique : y aura-t-il encore une
politique autre que la politique spectacle?
- Quelle est, maintenant,
par rapport aux techniques, la frontière entre le décidable et l'indécidable?
Je laisse la lectrice ou le lecteur méditer
sur ces questions qui m'apparaissent essentielles.
Simon