L’entropie
La deuxième loi de la thermodynamique
est
la première
loi de toutes les sciences.
Einstein
- Entropy is a process where things naturally move
from a
state of order toward disorder, like our homes
that we continually need to clean.
- The second law dictates that our current
march toward progress will eventually collapse
under its own entropic weight.
Whissel, The Myth of Progress
De l’économie à
écologie, en passant par la physique, plusieurs théories et concepts peuvent
être mobilisés pour comprendre ce qu’est le progrès. Ainsi, au fil des lectures
(Joël de Rosnay (1975) Le Macroscope ; Amor Aktouf (2002) La stratégie de
l’autruche ; Whissel (2006) The Myth of Progress) que j’ai fait pour me
préparer à ce cours, une notion repassait souvent : l’entropie. L’entropie,
c’est un concept a priori obscur qui cache une loi fondamentale en physique ;
c’est la deuxième loi de la thermodynamique. Dans ce billet, je vais tenter de
brièvement expliquer la notion d’entropie et la raison pour laquelle il est capital de la comprendre pour en mesurer
les conséquences provoquées par la société industrielle de production et de
consommation de masse.
J’ai déjà été
exposé à la notion d’entropie par le passé, mais pour des raisons que je
m’explique mal, je ne m’y suis jamais attardé. J’avais tort. Mais, qu’est-ce
que l’entropie au juste? L’entropie concerne l’énergie. Pourquoi parler
d’énergie? Tout simplement parce que c’est ce qui génère le travail. Pour
qu’une économie fonctionne, il faut du travail et ce travail doit être mis en
mouvement par de l’énergie. En somme, on peut réduire la dernière proposition à
l’équation : Travail = Énergie. Aussi, depuis le Big Bang, la matière
passe en gros d’un état extrêmement organisé à un état désorganisé. Les
physiciens appellent ce phénomène la flèche du temps. Si on revient à l’énergie,
on a découvert au XIXe siècle que l’énergie utilisée dans les machines n’était
pas utilisée à son plein potentiel. Autrement dit, avec le travail des
machines, on a constaté une dégradation de l’état de l’énergie, un passage de
la complexité vers un état de simplicité. Comme le dit si bien Whissel :
« A more objective way to describe entropy is as a process in which things
move from a state of complexity toward simplicity, or from concentration toward
diffusion. » Par exemple, la chaleur, une forme d’énergie, peut provoquer
le mouvement, une autre forme d’énergie, mais il y a toujours une perte
d’énergie. Concrètement, lorsque vous mettez de l’essence dans votre voiture,
il y a une perte en efficacité qui peut aller jusqu’à 63%. L’énergie contenue
dans l’essence est utilisée à environ 37% pour mouvoir la voiture, le restant
est perdu en chaleur.
Qu’est-ce que
ça a à voir avec la problématique du progrès me direz-vous? En fait, Whissel
l’explique tellement bien que je vais lui laisser la parole :
« […] the biosphere was an anti-entropic system
up until about a quarter billion years ago when it entered a state of dynamic
equilibrium. However, the biospheric story today is quite different. Since the
nineteenth century the increasing use of energy by humans, particularly fossil
fuels, has pushed the biosphere out of its dynamic equilibrium state into one
that is increasingly more entropic. Human activity on this planet is countering
trends that have been developing for over
3.5 billion years. For the first time in the Earth's history, a single species
is responsible for the entropic degradation of the biosphere by releasing more
energy through transformations than is being replaced by global photosynthesis. »
Bref, la vie
est néguentropique, la négation de l’entropie. Chose étrange dans l’évolution
de l’univers quand on y pense. Hors, si ce que Whissel dit est vrai, l’humanité,
depuis 200 ans, ce qui coïncide avec la révolution industrielle, puise et
diffuse plus d’énergie dans le système planétaire qu’il n’en reçoit du soleil.
Il y a donc un déficit structurel d’énergie dans le système terrestre. Problème
majeur qui amène le philosophe Jacques Grinevald à appeler notre société
globale civilisation thermo-industrielle
pour ainsi mettre l’accent sur l’accaparation et la dispersion d’une quantité
excédentaire d’énergie dans le processus industriel qui façonne notre monde, la
Terre. L’industrialisation, rappelons-le, a besoin massivement d’énergie, souvent
sous forme de chaleur.
La question de
l’augmentation de l’entropie liée à nos activités est vraiment importante puisque
c’est probablement la seule perspective qui ajoute un facteur de certitude
scientifique à la problématique du progrès (les autres perspectives, dont
l’anthropocène, amènent des indices, mais ne sont que des thèses probabilistes).
Whissel est très strict sur ce point : « Every environmental problem
we witness today is the result of entropy within the biosphere. »[1]
La civilisation actuelle carbure, c’est le cas de le dire, aux énergies
fossiles. Nous, en tant que civilisation thermo-industrielle, sommes créateurs
de désordre. Nous le faisons de plus en plus rapidement. D’ailleurs, ce
problème grave n’est pas sans lien avec la problématique des changements
climatiques. Cela ouvre sur la notion de rétroaction, mais ce sera peut-être le
sujet d’un autre billet.
Simon
P.S. Vous
pouvez également visionner ce vidéo qui parle essentiellement de la même
problématique :
P.P.S. Vous vous souvenez que David Suzuki nommait plusieurs lois incontournables de la nature au début du Test Tube? Je l'avais souligné la semaine dernière...
[1] Cette
phrase est suivie d’une longue énumération troublante : « If
there is a foundation on which all environmental degradation rests, it is
entropy generated by the ever-increasing transformation of energy by humans.
The loss of natural forest cover or its replacement with monocrop plantations
results in simplification of ecosystems -
entropy. The conversion of semiarid woodlands to desert through
overexploitation results in ecosystem simplification - entropy. The erosion of
topsoil results in diffusion of nutrients - entropy. The eutrophication of
aquatic and marine environments from the
diffusion of nutrients results in decreased biotic diversity and ecosystem
simplification - entropy. The depletion of the world's fisheries results in
ecosystem simplification - entropy. The loss of coral reefs and boreal forests
due to the warming of oceans and polar climates results in ecosystem
simplification - entropy. The loss in global biodiversity results in
simplification - entropy. Global climate change due to the build up of carbon
dioxide in the atmosphere from the burning of fossil fuels is a process of
diffusion of carbon - entropy. Think of any environmental problem and you will
see it is a process where complex systems are being simplified or concentrated
materials are being diffused. »
Je suis un peu confuse avec la derniere phrase qui semble contredire au propos la direction ?
RépondreSupprimerPeux-tu être plus précise dans ta question? Quelle contradiction semble émerger?
RépondreSupprimerNote : Ce billet a été publié auparavant sous un autre thème abordé. Je me suis trompé. Je m'en excuse. On m’a demandé de le publier à nouveau, mais au bon endroit. Alors, voilà, c’est fait.
RépondreSupprimerBonjour Simon,
Je me permets de rajouter mon grain de sel à ton texte en espérant que cela facilitera le concept d’entropie auprès de tes étudiantes.
La loi de l’entropie stipule que la tendance naturelle est au désordre. Pensons-y, quand on laisse tomber les morceaux d’une boîte de casse-tête. Quelles sont les chances qu’ils s’agencent tous dans le bon ordre d’un seul coup? C’est ça l’entropie et c’est naturel.
Afin de faciliter la compréhension de la deuxième loi de la thermodynamique dans mon cours de physique, j’utilisais l’exemple du corps humain. Le corps humain est une machine très complexe et très organisée, ce qui va à l’encontre de cette loi de la nature qu’est la loi du désordre (l’entropie). Pour combattre cette loi, nous devons constamment fournir du carburant à notre corps. Ce carburant nous le puisons des aliments que nous consommons. Trois repas par jour et parfois davantage sont requis.
Notre corps n’étant pas une machine très efficace, c’est la raison pour laquelle notre demande d’énergie alimentaire est très élevée. La majorité de l’énergie consommée se dissipe sous forme de chaleur (quand on fait un exercice intense, on en est très conscient). Cette énergie perdue dans l’environnement est utilisée pour augmenter le désordre ou l’entropie. Concrètement, ça se traduit par les molécules de l’air de notre entourage qui vibreront davantage grâce à cette énergie. Plus de vibrations, plus de désordre…la nature est satisfaite.
Le combat de toute une vie pour contrecarrer l’entropie sera perdu à notre mort, car notre corps se décomposera. Ces molécules très organisées en tissus, organes, systèmes et organisme s’effondreront pour reprendre le désordre qu’elles avaient avant qu’on les emprisonne pour un certain temps. Au final, c’est l’entropie qui l’emporte. C’est la nature.
Quand tes parents te diront que ta chambre est à l’envers, dis-leur que tu n’y peux rien, car c’est naturel… c’est à cause de l’entropie.
Bonnes discussions,
Guy